CHAPITRE UN

En ce beau matin du début du mois de mai, où l’on peut affirmer que commença vraiment l’affaire sensationnelle des reliques de Gwytherin, frère Cadfael s’était levé bien avant prime pour repiquer ses plants de choux, avant que le vent ne se lève ; ses pensées étaient toutes tournées vers la naissance, la croissance et la fertilité, et ne concernaient en rien les tombes, les reliquaires, ni les morts violentes de saints, de pécheurs ou de gens ordinaires et sujets à l’erreur comme lui par exemple. Seule l’idée de devoir rentrer pour la messe l’ennuyait un peu, tout comme la demi-heure consacrée au chapitre qui s’ensuivrait et qui prenait invariablement une dizaine de minutes de retard. Il regrettait le temps volé à ses légumes, mais il fallait bien faire son devoir. Après tout, il avait choisi la vie conventuelle en toute connaissance de cause, et il ne pouvait pas se plaindre d’y trouver des moments moins agréables, alors que dans l’ensemble elle lui convenait très bien, et lui donnait cette satisfaction qu’il éprouvait maintenant, en se redressant et en regardant autour de lui.

Y avait-il un plus beau jardin bénédictin dans tout le royaume, ou plus riche en herbes potagères ou en simples ? Il en doutait. Les terres et les vergers les plus importants de l’abbaye des saints Pierre et Paul, à Shrewsbury se situaient au nord de la route, à l’extérieur de la clôture ; mais ici, à l’intérieur des murs, dans le jardin clos, non loin des viviers de l’abbé et du ruisseau qui faisait tourner le moulin de l’abbaye, frère Cadfael régnait sans partage. L’herbarium[1] en particulier, était son royaume ; il l’avait constitué petit à petit, depuis quinze ans, en y ajoutant des plantes exotiques qu’il avait fait pousser avec amour, et récoltées au cours d’une jeunesse aventureuse qui l’avait amené jusqu’à Venise, Chypre et en Terre sainte. Cadfael était venu tard à la vie monastique, comme un bateau en péril trouve enfin un port tranquille. Il se rendait bien compte que pendant ses premières années de couvent, novices et frères lais se le montraient du doigt avec des murmures effarés.

— Vous voyez le moine là-bas dans le jardin ? Le type râblé avec sa démarche chaloupée de marin ? A priori, on ne dirait pas qu’il a fait la croisade quand il était jeune, pas vrai ? Il était avec Godefroi de Bouillon à la prise d’Antioche. Il commandait un vaisseau quand le roi de Jérusalem tenait toute la côte de Terre sainte et il a servi contre les pirates barbaresques pendant dix ans. Difficile à croire, hein ?

Cadfael, lui, ne trouvait rien de bizarre à cette vie mouvementée ; il n’avait rien oublié et ne regrettait rien. Il ne voyait aucune contradiction entre le plaisir qu’il avait pris aux aventures et aux batailles et celui, très vif aussi, qu’il trouvait maintenant dans sa vie tranquille. Tranquillité qu’il rehaussait, il faut bien le dire, d’un zeste de malice à chaque fois que c’était possible. Il aimait en effet la cuisine relevée, mais il appréciait aussi le calme qu’il avait trouvé là. Les jeunes qui lorgnaient avec tant de curiosité chuchotaient aussi que, dans sa vie passée, il avait dû rencontrer des femmes ; et pas seulement en tant que chevalier. Etait-ce là la meilleure façon de rentrer dans les ordres ?

Pour les femmes, ils avaient raison. Sans parler de Richildis[2] qui – pouvait-on lui en vouloir ? – n’avait pas eu la patience d’attendre son retour, et, au bout de dix ans, avait épousé un hobereau du comté qui lui n’avait nullement l’intention de partir guerroyer. Il se souvenait aussi d’autres agréables rencontres, dans maints endroits, et à la satisfaction de chacun : Bianca qui tirait de l’eau au puits de pierre, à Venise, Ariane et son bateau en Grèce, Mariam, la Sarrasine, qui vendait des fruits et des épices à Antioche, et qui l’avait trouvé assez viril pour remplacer le mari qu’elle avait perdu. Il avait quitté chacune sans rancoeur, qu’elles eussent peu ou beaucoup compté. Il trouvait que ça n’était déjà pas mal et le fait de les avoir connues l’avait aidé dans sa vie calme et contemplative. Cela le rendait patient et l’aidait à comprendre les êtres simples qui avaient pris l’habit depuis toujours, alors qu’il y était venu sur le tard. Quand on a tout connu, s’occuper du jardin d’un couvent est une activité satisfaisante. Il n’aurait pas pu entrer au couvent sans avoir rien fait d’autre avant.

D’ici cinq minutes, il lui faudrait se laver les mains et se rendre à l’église pour la messe. Il profita de ce répit pour arpenter son royaume personnel, fleuri et parfumé, où deux jeunes moines, tonsurés l’année précédente, s’activaient à désherber et à faire les bordures. Luisantes et sombres, pleines de sève, duveteuses, les feuilles présentaient une gamme infinie de verts. Beaucoup de fleurs étaient encore timides ; elles cachaient presque leurs douces couleurs lilas, bleu ombreux, jaune très pâle, car si elles jouaient un rôle secondaire, elles assuraient aussi la reproduction de l’espèce. La rue, la sauge, le romarin poussaient là et le gingembre, le thym et bien d’autres encore. Il avait appris à ses aides à s’en servir, même des plus rares, car les herbes ne sont efficaces qu’employées avec modération ; il peut être très dangereux d’en abuser. Il y avait des rangées de pavots que Cadfael avait rapportés d’Orient pour leurs graines épicées et comme remède contre la douleur et l’insomnie qui sont les pires ennemis de l’homme.

Les deux moines se redressèrent et époussetèrent leur habit. Eux aussi savaient qu’il était temps de s’arrêter. Frère Columbanus n’aurait pour rien au monde voulu manquer à ses devoirs, pas plus qu’il ne l’aurait admis d’aucun autre moine. Il était beau, bien fait, solide, avec une belle tête ronde de Normand. Il sortait d’une grande famille normande ; en tant que cadet, on l’avait envoyé faire carrière dans les ordres, faute de pouvoir lui transmettre la terre. Il avait des cheveux blonds très raides et de grands yeux bleus. Son attitude modeste et sa pâleur tendaient à faire oublier sa musculature impressionnante. Il n’était pas de tout repos, car en dépit de sa force, il avait depuis peu manifesté une sensibilité inquiétante, étant sujet à des accès d’abattement, des crises de conscience et des visions d’apocalypse, qu’il supportait très mal. Mais il était jeune, idéaliste ; tout ça finirait par lui passer. Cadfael travaillait avec lui depuis quelque temps et nourrissait de grands espoirs à son sujet. Il était volontaire, énergique et presque trop désireux de plaire. Peut-être était-il aussi trop conscient de sa dette envers les siens et craignait-il qu’un échec ne rejaillît sur eux. Cadfael venait d’une vieille famille galloise sans prétention, et il prenait avec philosophie les excès de frère Columbanus, que le jus de pavot avait plus d’une fois apaisé.

Rien à craindre de tel avec frère John : il avait la simplicité de son nom ; carré, le nez en trompette, d’indomptables boucles rousses et un estomac toujours affamé ; dans un jardin, il ne s’intéressait qu’à ce qui se mangeait et sentait bon. En automne il s’arrangeait toujours pour être au verger. En ce moment il était ravi d’aider Cadfael à arracher les laitues nouvelles et il attendait que les fruits mûrissent.

Il était beau, solide, doué d’une heureuse nature ; on aurait dit qu’il avait pris les ordres par erreur et qu’il ne s’en était pas encore aperçu. Mais il ne manquait pas de malice, et Cadfael pensait bien qu’un jour l’oiseau s’envolerait. En attendant il s’amusait dès qu’il pouvait et parfois dans les endroits les plus inattendus.

— Il faut que je sois à l’heure, dit-il, en se frottant les mains sur son banc. C’est moi qui lis cette semaine.

Les passages qu’on lui choisissait avaient beau être ternes, et les saints et les martyrs qu’il célébrait au chapitre manquer de relief, John en faisait toujours les acteurs d’un drame palpitant, tant il y mettait d’enthousiasme. Avec la décollation du Baptiste, il aurait fait trembler les murs.

— C’est pour la plus grande gloire de Dieu que vous lisez, mon frère, lui rappela Columbanus d’un ton d’affectueux reproche et avec une humilité assez offensante, pas pour la vôtre.

— Je n’ai que de vertueuses pensées en moi, dit frère John avec passion.

Il fit un clin d’oeil à Cadfael et partit, plein d’ardeur, vers la porte abbatiale et la grande cour. Les deux autres le suivirent en silence. Cadfael se demandait si même dans sa jeunesse, il avait été aussi sérieux que son voisin. Il dut faire un effort pour se rappeler, lui qui avait maintenant cinquante-sept ans, que Columbanus était l’héritier d’une famille ambitieuse dont la fortune n’était sûrement pas due à la seule piété.

La troisième messe du jour était brève ; ensuite les moines se rendirent en procession du choeur à la salle capitulaire et, conduits par l’abbé Héribert, s’assirent dans leur stalle. L’abbé était âgé, compréhensif et doux ; il n’avait rien d’impressionnant, mais son calme était parfois trompeur. Les novices se sentaient bien en sa présence, enfin quand ils pouvaient le voir, ce qui n’était pas facile, car le prieur, pour sa part très impressionnant, s’interposait souvent. Il se nommait Robert Pennant, avait du sang gallois et anglais. Avec sa taille, plus de un mètre quatre-vingts, son corps mince, ses cinquante ans, sa chevelure argentée, son beau visage long aux traits aristocratiques et son grand front marmoréen, il ferait un superbe abbé mitré ; nul en Angleterre ne le savait mieux que lui, et il le prouverait à la première occasion.

Ensuite venait Richard, le sous-prieur, son antithèse, grand, assez laid, bienveillant mais paresseux. Deviendrait-il prieur après Robert ? Pas sûr. Beaucoup de moines plus jeunes guignaient cette charge et feraient tout pour l’avoir.

Après Richard, en suivant la hiérarchie des moines, on trouvait frère Bénédict, le sacristain, frère Anselme, le premier chantre, frère Denis l’hospitalier, frère Matthieu, le cellérier, frère Edmond, l’infirmier, frère Oswald, l’aumônier, frère Jérôme, le clerc du prieur, et frère Paul le maître des novices, puis les autres moines, et ils étaient nombreux. Parmi les derniers Cadfael alla à sa place favorite, au fond de l’église ; elle était mal éclairée, et un gros pilier le cachait à demi. Il n’était chargé d’aucune paperasserie, il était donc probable qu’on ne lui demanderait pas son avis au chapitre, et quand en plus la question était sans intérêt, il avait coutume de mieux employer son temps en faisant un petit somme. Dans son coin sombre nul ne le voyait. Son sixième sens l’alertait en cas de besoin et l’éveillait aussitôt. Il lui était même arrivé de répondre sur-le-champ à une question alors qu’il dormait quand on la lui avait posée.

Il resta éveillé assez longtemps pour apprécier la lecture pleine de feu de frère John parlant d’un saint inconnu, dont la fête tombait le lendemain, mais quand le cellérier commença à exposer un délicat problème d’héritage, il s’endormit. Il savait qu’après, le temps de parole reviendrait essentiellement au prieur qui s’efforçait désespérément de trouver pour le monastère les reliques d’un grand saint. Depuis ces quelques mois peu d’autres sujets avaient été abordés. Le prieur avait les reliques sur l’estomac en fait depuis que les clunisiens de Wenlock avaient redécouvert la tombe de sainte Milburga, fondatrice de l’abbaye, dont la châsse était maintenant sur leur autel. Un prieuré tout proche, avec une sainte faisant des miracles, et la grande abbaye bénédictine de Shrewsbury aussi vide de reliques qu’un tronc pillé ! C’était plus que Robert n’en pouvait supporter. Depuis plus d’un an, il cherchait un saint oublié, dans la région des Marches, où les saintes poussaient jadis comme des champignons, et où on ne les considérait pas mieux. Cadfael n’avait nulle envie d’entendre ses jérémiades ; il se rendormit et rêva de batailles et de la Croisade. Le bruit qui l’éveilla en sursaut, s’il ne manquait pas de force, n’avait rien à voir avec une trompette ni avec la prise de Jérusalem. Il était bien dans sa stalle, dans son coin tranquille et, comme les autres, il sauta sur ses pieds consterné et inquiet. Le hurlement qui avait dissipé sa torpeur se changeait en gémissements déchirants et en sanglots exprimant aussi bien le comble du plaisir que de la souffrance. Au centre de la salle capitulaire Columbanus donnait des coups de pied désordonnés, avec des soubresauts de poisson hors de l’eau, et se tapait la tête et les mains contre le sol pavé ; les moines les plus proches, interdits, ne savaient que faire et le prieur leva les bras au ciel pour le prendre à témoin.

Frère Cadfael et frère Edmond, l’infirmier, arrivèrent ensemble près du malheureux, s’agenouillèrent à ses côtés et l’empêchèrent de se fracasser le crâne contre le sol ou de se briser les membres dans ses contorsions.

— Haut mal, dit sèchement l’infirmier et il glissa entre les dents de Columbanus la grosse corde de sa ceinture ainsi qu’un bout de sa robe pour qu’il ne se morde pas la langue.

Cadfael n’était pas sûr du diagnostic. Tout ça n’avait rien à voir avec les grognements ou les cris inarticulés d’un épileptique. On aurait plutôt dit une femme hystérique en pleine crise. Mais au moins le traitement diminua-t-il l’intensité des cris et même les convulsions de Columbanus, qui reprirent cependant dès qu’on le lâcha.

— Pauvre jeune homme ! murmura Héribert, dans le fond de la salle. Quel malheur ! Doucement ! Emmenez-le à l’infirmerie. Nous prierons pour sa guérison.

Le chapitre s’interrompit non sans quelque désordre. Frère John et d’autres moines à l’esprit pratique enveloppèrent confortablement frère Columbanus dans un drap, lui immobilisant bras et jambes pour qu’il ne pût se blesser, remplacèrent la corde qu’il avait entre les dents par un morceau de bois, car il aurait pu s’étouffer, et l’emmenèrent à l’infirmerie sur un brancard ; là ils le couchèrent et lui fixèrent des bandes autour de la poitrine et des cuisses. Le malade gémit, grogna et se débattit encore, mais moins fort, et quand ils lui eurent fait ingurgiter la décoction de pavot de frère Cadfael, ses gémissements se changèrent en balbutiements pitoyables, et il se défendit moins violemment contre ses liens.

— Prenez bien soin de lui, dit Robert, anxieux, en se penchant sur le lit du jeune homme. Il faudrait qu’on le veille constamment, au cas où ça le reprendrait. Vous avez d’autres malades et ne sauriez le veiller jour et nuit. Frère Jérôme, je vous confie ce malheureux et vous dispense de tout le reste tant qu’il aura besoin de vous.

— Bien volontiers, et bien dévotement !

Jérôme était très proche du prieur qu’il suivait obséquieusement en tout, et Robert le prenait toujours quand il voulait être tenu au courant et obéi en tout point.

— Ne le quittez surtout pas cette nuit, recommanda le prieur, car les hommes sont plus faibles la nuit, et leurs maux plus accablants. S’il dort paisiblement reposez-vous aussi, mais restez à proximité en cas de besoin.

— Il s’assoupira d’ici une heure, dit Cadfael, confiant, et bien avant la nuit, il dormira d’un sommeil naturel. Avec l’aide de Dieu, il sera sur pied demain matin.

Mais il pensait surtout que frère Columbanus manquait d’exercice physique et spirituel, et se vengeait ainsi de ce manque par ces excès semi-accidentels. C’était à la fois pitoyable et condamnable. Toutefois il gardait un doute raisonnable, ne pensant pas connaître assez bien ses collègues pour les juger. Sauf frère John peut-être ! Mais dans un couvent comme dans le siècle, les êtres spontanés comme John ne sont pas légion.

 

Frère Jérôme apparut au chapitre le lendemain matin, tout exalté, avec l’air de quelqu’un qui apporte des nouvelles extraordinaires. Quand l’abbé lui reprocha d’avoir quitté son malade sans autorisation, il joignit doucement les mains et baissa la tête sans rien perdre de son ravissement ni de son assurance.

— Mon père, je suis venu pour une raison qui m’a paru encore plus importante. J’ai laissé dormir frère Columbanus, d’un sommeil très agité. Deux frères lais le surveillent. Si j’ai mal agi, j’en subirai humblement les conséquences.

— Notre frère ne va pas mieux ? demanda l’abbé inquiet.

— Il est encore profondément troublé, et quand il se réveille, il divague. Mais père, voici ce que j’ai à dire. Cette nuit, j’ai eu une vision miraculeuse, et je suis venu vous dire ce que la divine Providence m’a révélé. Au petit matin, je me suis assoupi près du lit de frère Columbanus et j’ai eu un rêve d’une merveilleuse douceur.

Il avait mobilisé l’attention de tous, même Cadfael était bien éveillé.

— Quoi ? Encore un ? murmura malicieusement frère John. Ça devient contagieux.

— Il m’a semblé, père, que le mur de la chambre s’ouvrait et qu’une lumière étincelante apparaissait ; dans cette lumière une jeune vierge, très belle, s’est approchée du lit de notre frère, et elle m’a parlé. Elle m’a dit s’appeler Winifred, et qu’au pays de Galles il y a une source sacrée qui a jailli à l’endroit où elle a été martyrisée. Et elle a dit que si on baignait frère Columbanus dans cette eau, il guérirait sûrement. Puis elle a béni cette maison, et elle a disparu dans une grande lumière. Et je me suis éveillé.

La voix du prieur, triomphante autant que respectueuse, s’éleva au-dessus des murmures d’excitation dans la salle capitulaire.

— Père abbé, c’est un signe ! Nous cherchions un saint, et cela vous a attiré cette faveur, afin que nous persévérions.

— Winifred, dit l’abbé dubitatif, je ne me rappelle pas bien l’histoire de cette sainte et martyre. Il y en a tant au pays de Galles. Certes ce serait pure ingratitude de négliger un présage aussi explicite et de ne pas envoyer frère Columbanus à cette fontaine sacrée. Mais où se trouve-t-elle au juste ?

Le prieur regarda les moines gallois, passa rapidement sur Cadfael qui n’avait jamais compté au nombre de ses favoris, à cause de son passé notoirement séculier, et de son sens de l’humour ; il s’arrêta joyeusement sur le vieux frère Rhys, qui était quasiment sénile mais dont la foi ne posait pas de problème, et qui avait la mémoire capricieuse mais sûre des vieillards.

— Frère Rhys, pourriez-vous nous conter l’histoire de sainte Winifred et nous dire où se trouve sa fontaine ?

Le vieillard mit du temps à comprendre qu’il était au centre de l’attention générale. Il était ratatiné comme une vieille pomme, édenté, et habitué à ce qu’on le tolère et qu’on l’oublie. Il commença en hésitant, mais s’échauffa en voyant que tous le regardaient avec attention.

— Sainte Winifred, dites-vous, mon père ? tout le monde la connaît. Sa fontaine se trouve à l’endroit qu’on a appelé par son nom – Holywell[3] pas bien loin de Chester. Mais sa tombe, vous ne la trouverez plus à Holywell.

— Parlez-nous d’elle, dit le prieur. Racontez-nous.

La curiosité le rendait obséquieux.

— Sainte Winifred, commença le vieillard, voyant avec plaisir arriver son jour de gloire, était la fille d’un chevalier nommé Tevyth, qui vivait là-bas à l’époque où les princes étaient encore païens. Mais avec toute sa famille il fut converti par saint Beuno ; il lui éleva une église et l’abrita chez lui. La fille était encore plus pieuse que ses parents et décida de rester vierge ; elle entendait la messe chaque matin. Mais un dimanche, voilà qu’elle tomba malade et resta chez elle, alors que toute la maisonnée se rendait à l’office. Et le prince Cradoc, le fils du roi, qui était tombé amoureux d’elle sans oser l’approcher arriva sur ces entrefaites. Car la petite était très belle. Très belle ! dit frère Rhys, tout émoustillé, et il se lécha avidement les lèvres.

Le prieur manifestement offusqué préféra cependant s’abstenir de tout commentaire.

— Il prétendit revenir de la chasse et avoir très soif, dit frère Rhys, d’un ton sombre, et il demanda de l’eau que la petite lui donna. Et alors, ajouta Rhys d’une voix perçante, se tassant dans sa grande robe puis se redressant avec une vigueur dont nul ne l’aurait cru capable, il se fit plus pressant et la prit dans ses bras. Comme ça.

Cet effort faillit l’achever, et comme le prieur le regardait inquiet, il se calma, très digne.

— La vierge fidèle le repoussa doucement, et se sauvant dans une autre chambre, passa par une fenêtre et s’enfuit vers l’église. Mais quand il s’en rendit compte, le prince sauta à cheval et se lança à sa poursuite ; il la rattrapa juste devant l’église, et craignant qu’elle ne révélât son infâme conduite, il lui trancha la tête.

Il s’arrêta, attendant les murmures horrifiés et indignés, qui ne tardèrent plus ; et tous joignirent les mains, les yeux ronds.

— Voici comment elle est morte et fut béatifiée, conclut Jérôme, enthousiaste.

— Et puis quoi encore ! protesta sèchement frère Rhys, qui n’avait jamais apprécié Jérôme. Saint Beuno et les fidèles sortaient de l’église, et ils avaient tout vu. Le saint maudit le meurtrier, qui aussitôt s’affaissa, se dissolvant comme neige au soleil, jusqu’à disparaître dans l’herbe. Puis saint Beuno remit en place la tête de la jeune fille, et elle se releva d’entre les morts ; de cet endroit jaillit la source miraculeuse.

Ils attendaient, sous le charme, il les laissa attendre. Après sa mort, l’histoire ne l’intéressait plus.

— Et ensuite ? interrogea le prieur. Que fit sainte Winifred après sa résurrection ?

— Elle alla en pèlerinage à Rome, dit Rhys, indifférent, elle assista à un grand synode et fut nommée prieure d’une communauté de religieuses à Gwytherin, près de Llanwrst. Elle vécut longtemps et fit de nombreux miracles, tant qu’elle vécut. Enfin si l’on peut dire. Elle était déjà morte une fois. Quand elle est morte pour la seconde fois, cela s’est produit là-bas.

Ce reste de vie ne l’intéressait pas, et il l’évoqua dédaigneusement. Elle avait eu sa chance avec le prince Cradoc et elle l’avait laissée passer. Elle devait être faite pour être prieure d’un repaire de pucelles, un point c’est tout.

— Elle est enterrée à Gwytherin ? insista le prieur. Et les miracles ont continué après sa mort !

— Il paraît. Mais je n’ai plus entendu prononcer son nom depuis longtemps, dit le vieillard, et je ne suis plus retourné là-bas depuis plus longtemps encore.

Robert se dressa dans le cercle de lumière qui filtrait entre les piliers. Rayonnant et impérieux il regarda l’abbé.

— Ne croyez-vous pas, mon père, que notre quête d’un grand et saint patron a reçu une approbation divine ? Sainte Winifred nous a visités elle-même, grâce au rêve de frère Jérôme, et nous a dit de lui amener notre malheureux frère afin de le guérir. On peut espérer qu’elle nous guidera encore. Si elle accède à nos prières et rend la santé à frère Columbanus, cela nous encouragera à croire qu’elle viendra en personne résider parmi nous, n’est-ce pas ? Et que nous pouvons demander humblement l’approbation de l’église pour apporter ici, à Shrewsbury, ses saintes reliques, pour la plus grande gloire de notre maison !

— Et celle du prieur ! murmura frère John à l’oreille de Cadfael.

— Elle semble nous avoir fait une grâce singulière, reconnut l’abbé.

— Alors, père, permettez-moi d’envoyer frère Columbanus à Holywell aujourd’hui même, sous bonne escorte.

— Faites, acquiesça l’abbé. Avec nos prières à tous qu’il nous revienne en bonne santé et qu’il soit le messager de sainte Winifred.

 

Le moine fou, se tenant à lui-même des propos incohérents, fut emmené par la grande porte tout de suite après le dîner, monté sur une mule, bien installé dans une selle haute qui l’empêcherait de tomber en cas de crise ; frère Jérôme et un frère lai étaient à ses côtés pour parer à toute éventualité. Columbanus jetait autour de lui des regards d’enfant éperdu ; il ne reconnaissait personne, apparemment, mais il se laissa conduire sans histoires.

— J’aurais bien été faire un tour au pays de Galles, dit frère John tristement, en les regardant partir vers le pont enjambant la Severn. Mais je n’aurais probablement pas eu les visions qui conviennent. Jérôme fera ça beaucoup mieux.

— Quel mécréant tu es ! s’exclama Cadfael. Ça empire de jour en jour.

— Pas du tout ! je veux, comme tout le monde, croire à la sainteté et aux miracles de cette petite. Les saints ont le pouvoir de nous aider, on le sait, et ils en ont aussi le désir. Mais quand le toutou du prieur a une vision, vous me demandez de croire en sa sainteté à lui, pas à elle ! Et puis sa faveur ne nous suffit-elle pas ? Pourquoi vouloir fouiller sa tombe ? C’est un travail de fossoyeur, pas d’homme d’église. Et vous pensez exactement la même chose, ajouta-t-il fermement, fixant Cadfael.

— Quand je voudrai m’entendre par ta bouche, dit Cadfael, je te le dirai. Allez, viens, il y a ce bout de terrain à bêcher, et mes plants de chou frisé attendent.

 

La délégation revint au bout de cinq jours, sous une pluie légère, et chantant des actions de grâces quand les trois moines entrèrent dans la cour. Au milieu chevauchait Columbanus, très droit, et radieux, si l’on peut dire à propos de quelqu’un dont la joie était si humble. Il avait le visage brillant, le regard clair et vif. Nul n’avait jamais paru plus sain d’esprit ni moins sujet à l’épilepsie. Il alla droit à l’église, rendit grâce à Dieu et à Winifred et ils s’en allèrent tous les trois chez l’abbé pour faire leur rapport ainsi qu’au prieur et au sous-prieur.

— Père, dit Columbanus, tout joyeux, je ne saurais raconter ce qui m’est arrivé, car j’en sais moins que ceux qui m’ont soigné dans mon délire. Tout ce que je sais, c’est qu’on m’a emmené comme un homme en proie à un mauvais rêve, ne sachant que faire de moi-même. Et soudain ce fut comme si je m’étais libéré de ce cauchemar pour m’éveiller à la lumière du printemps : j’étais nu dans l’herbe près d’une fontaine, et ces bons frères m’arrosaient d’une eau au contact purificateur. Je les ai reconnus, et je me suis étonné d’être là, et ils m’ont raconté notre voyage. Puis nous sommes tous partis chanter la messe dans une petite église toute proche. Maintenant je sais que je dois ma guérison à sainte Winifred que je remercie du fond du coeur, et à Dieu qui l’a poussée à se pencher sur moi. Mes frères vous diront le reste.

Le frère lai qui avait fait tout le travail en avait assez de tout cela. Il s’exclamait quand il fallait, mais laissa Jérôme tout raconter avec feu. Comment ils avaient emmené leur patient à Holywell, demandé l’aide des habitants pour trouver le lieu où sainte Winifred s’était relevée d’entre les morts, et la source qui jaillissait encore, et dont un bassin de pierre retenait aujourd’hui le flot sacré. Ils y avaient conduit Columbanus, l’avaient dévêtu, et plongé dans l’eau miraculeuse, et aussitôt il s’était dressé, les mains levées pour prier. Ensuite il avait demandé comment il était arrivé là, et le récit de sa délivrance l’avait grandement édifié.

— Et, mon père, on nous a confirmé que le tombeau de la sainte est bien à Gwytherin, où elle est morte, et qu’il a été le théâtre de nombreux miracles. Mais on dit, qu’après tant de temps, sa tombe est peu honorée, elle désire sans doute être mieux considérée, et installée en un lieu où l’on viendra en pèlerinage, et elle pourra répandre ses bienfaits parmi un plus grand nombre d’affligés.

— Vous avez vu ce miracle ! Dieu vous inspire, dit Robert, superbe, et vous dites tout haut ce que je pensais tout bas. Sainte Winifred nous appelle à l’aide comme elle a aidé frère Columbanus. Beaucoup ont besoin d’elle, comme lui, et ne la connaissent pas. Chez nous elle serait vénérée comme elle le mérite. Permettez-moi, père abbé, de demander à l’église l’autorisation d’aller chercher cette sainte, afin de la ramener chez nous. C’est son plus cher désir, j’en suis sûr.

— Faites, au nom de Dieu, dit dévotement l’abbé. Et que le ciel vous bénisse.

 

— Il avait tout manigancé à l’avance, dit frère John, partagé entre l’envie et le mépris. Quel comédien ! Demander qui était sainte Winifred, et où la trouver ! Il savait tout sur elle. Il avait arrêté son choix sur elle, parmi tous les saints oubliés du pays de Galles, en plus de la gloire que ça lui apporterait. Mais il lui fallait un miracle. Et il y en aura d’autres, si besoin est, avant que la petite soit arrivée à bon port. C’est un grand projet, qui lui permettra de faire son chemin. On commence avec une vision, une guérison miraculeuse, c’est cousu de fil blanc !

— Tu crois que Columbanus fait partie du complot avec Jérôme, et que ses crises d’épilepsie étaient également simulées ? demanda doucement Cadfael. Moi, j’y regarderais à deux fois avant de risquer de me fracasser le crâne contre le sol, même pour fournir un miracle au prieur.

Frère John réfléchit sérieusement.

— Non, je ne dis pas ça. On sait de quoi Columbanus est capable dans ses actes de pénitence, ou dans ses extases. Et une bonne douche glacée à Holywell était peut-être bien ce qu’il lui fallait pour être remis d’aplomb. On aurait aussi bien pu le jeter dans l’étang ici même ! Mais bien sûr, il a cru ce qu’on lui a dit, et tout le mérite en revient à Winifred. Il n’aurait jamais voulu manquer ça ! Non, il est rentré dans leur jeu sans le savoir. Mais quelle occasion il leur a donnée ! Comme par hasard, c’est Jérôme qui était chargé de le veiller ! Un seul homme suffit pour avoir une vision, mais il faut que ce soit le bon !

Il froissa tristement des feuilles de menthe entre ses doigts et l’odeur s’en répandit dans le petit matin.

— Et le prieur ne se fera pas accompagner par n’importe qui au pays de Galles, vous verrez ! s’écria-t-il, amer.

Aucun doute, le jeune homme avait envie de revoir un peu le monde, et de respirer l’air du dehors. Cadfael réfléchit, non seulement parce qu’il sympathisait avec son jeune assistant, mais aussi parce que cela lui rappelait d’agréables souvenirs. Un événement aussi passionnant ne se produisait pas souvent dans la vie calme d’un moine, il ne fallait pas manquer ça.

— C’est vrai ! dit-il pensif. Il faut faire quelque chose pour avoir aussi nos chances. Il ne faudrait pas qu’on croie au pays de Galles que Jérôme est ce qu’il y a de mieux comme moine à Shrewsbury. Tu as raison !

— Vous avez autant de chances que moi pour qu’on vous emmène, répliqua John avec sa brusquerie coutumière, Jérôme par contre... Le prieur ne saurait se passer de son bras droit. Et Columbanus, ce simplet, l’instrument de la grâce, on pourra encore l’utiliser. Il faudra emmener le sous-prieur, pour la forme. On pourrait quand même trouver un subterfuge, non ? Ils ne partiront que dans quelques jours, le temps que les charpentiers et les graveurs finissent ce splendide reliquaire qu’ils vont emmener pour sainte Winifred. Faites marcher vos petites cellules grises, frère Cadfael. Qui veut peut, prieur ou pas !

— Eh bien ! Et j’ai dit que tu manquais de foi ? s’étonna Cadfael, charmé et désarmé. Pour moi, à la rigueur, je pourrais trouver quelque chose, mais un vaurien comme toi !... A quoi es-tu bon, pour qu’on pense à t’emmener ?

— Je connais bien les mules, déclara frère John plein d’espoir. Vous ne pensez pas que le prieur va se déplacer à pied ? Ou qu’il va panser et nourrir les bêtes lui-même ? Ou nettoyer le crottin ? Il leur faudra quelqu’un pour les gros travaux. Pourquoi pas moi ?

Nul ne semblait avoir pensé à cela jusqu’à présent. Pourquoi prendre un frère lai si un moine, avec en plus une jolie voix pour chanter l’office, voulait se charger de cette tâche ? Et le garçon méritait qu’on l’emmène, s’il était prêt à se donner du mal pour ça. En outre il pouvait se montrer utile, pour Cadfael en tout cas, à défaut du prieur.

— On verra, dit-il et il renvoya son protégé finir son travail.

Mais après le dîner[4] pendant la demi-heure de sieste accordée aux moines âgés et qui servait de récréation aux novices, il alla voir l’abbé dans son cabinet.

— Père abbé, je me demande si nous avons bien réfléchi à notre pèlerinage à Gwytherin. D’abord il faut en informer l’évêque de Bangor ; Gwytherin dépend de lui, et sans son accord, on ne pourra rien faire. Là, nous n’avons pas besoin de quelqu’un parlant couramment gallois, l’évêque s’exprimant aisément en latin. Mais ce n’est pas le cas de tous les prêtres gallois, et il est essentiel de pouvoir communiquer avec le prêtre de Gwytherin, si l’évêque nous exauce. En outre, le siège de Bangor se trouve en plein royaume de Gwynedd, et l’accord et la bienveillance du roi sont aussi importants que ceux de l’évêque. Les princes de Gwynedd ne parlent que gallois, même s’ils ont de bons clercs. Le père prieur a quelques rudiments de gallois, mais...

— Très juste, l’interrompit l’abbé qui s’affolait aisément. Et l’accord du roi est essentiel. Frère Cadfael, le gallois est votre langue maternelle, et vous le possédez à fond. Pourriez-vous ?... Il y a le jardin, bien sûr... Mais vous présent, il n’y aurait plus de problème.

— Tout va bien au jardin, affirma Cadfael, on pourra se passer de moi une dizaine de jours. Je serai heureux de servir d’interprète et de me rendre utile à Gwytherin.

— Qu’il en soit ainsi ! dit l’abbé avec un soupir de soulagement. Accompagnez le prieur, et soyez notre interprète auprès du peuple gallois. Vous avez mon accord et ma bénédiction.

Il était âgé, doux, irrésolu, dénué d’ambition et d’orgueil. Il y avait deux façons de lui parler de frère John. Cadfael choisit de jouer franc jeu.

— Mon père, il y a un jeune frère dont la vocation est sujette à caution, mais dont les qualités sont évidentes. J’ai de l’affection pour lui et j’aimerais qu’il trouve sa voie. Si c’est le cas il s’y tiendra. Mais il ne restera pas forcément parmi nous. Je vous supplie de me laisser l’emmener. Il nous coupera le bois, ira nous chercher l’eau et il aura le temps de réfléchir.

L’abbé parut un peu inquiet, mais compréhensif. Peut-être se souvenait-il de jours anciens où sa propre vocation avait souffert des orages du doute.

— Je regretterais de ne pas laisser le choix à un homme qui servirait mieux le Seigneur ailleurs, dit-il. Lequel d’entre nous peut prétendre n’avoir jamais regardé en arrière ? Vous n’en avez pas parlé au prieur, ajouta-t-il délicatement, car c’était ce qui le troublait vraiment.

— Non, mon père, dit vertueusement Cadfael, je n’ai pas cru bon de l’ennuyer avec ce petit problème, alors qu’il en a de si importants à résoudre.

— Parfait ! dit l’abbé du fond du coeur. Ce serait mal de le divertir de sa noble tâche en ce moment. Je ne lui dirai pas pourquoi on emmènera aussi ce jeune homme. Le prieur est un homme austère et sûr de lui, il n’aime pas qu’on regarde en arrière une fois qu’on s’est mis à l’ouvrage.

— Certes, mon père, mais nous ne sommes pas tous faits de la même étoffe. Certains peuvent accomplir oeuvre utile, mais autrement.

— Tout à fait ! dit l’abbé, avec un sourire prudent, se penchant sur l’énigme qu’avait toujours été Cadfael pour lui. Je me suis moi-même souvent demandé, je l’avoue... Peu importe ! très bien, dites-moi le nom de ce jeune frère, et vous pourrez l’emmener.

Trafic de reliques
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